Un cadre juridique souvent contourné
Le Sénégal s’est doté d’un Code forestier (Loi n°98-03 du 8 janvier 1998), un texte juridique qui réglemente l’exploitation, la conservation, la réhabilitation et le reboisement des ressources forestières. Ce code impose des autorisations officielles, des plans d’aménagement, des quotas de coupe et des obligations de reboisement. En théorie, il interdit toute activité forestière non encadrée par l’État.
En parallèle, le pays est signataire de plusieurs conventions internationales, notamment la CITES, qui protège des espèces menacées comme le Pterocarpus erinaceus, appelé localement bois de vène. Cette essence précieuse est interdite d’exportation sans autorisation spéciale, en raison de son exploitation massive et de sa lente régénération.
Mais ces textes, aussi complets soient-ils, souffrent d’une mise en œuvre fragile. Contrôles insuffisants, faiblesse logistique, corruption locale et manque de coordination entre les services étatiques laissent la voie ouverte à une exploitation illégale florissante.
La Casamance, épicentre du pillage
C’est en Casamance, région forestière du sud du pays, que la situation est la plus critique. Riche en essences précieuses, en particulier le vène, cette zone frontalière avec la Gambie et la Guinée-Bissau est devenue un hotspot du trafic international de bois.
Le rapport de Global Witness (2021), Blood Timber, révèle comment des milliers de troncs sont abattus illégalement et transportés vers la Gambie, pays devenu une plaque tournante du commerce de bois vers la Chine. Le port de Banjul expédie annuellement des cargaisons entières, souvent sous de fausses déclarations d’origine.
Selon le chercheur Dr. Cheikh Mbow (Université de Dakar), auteur de l’étude Exploitation illégale du bois en Casamance (2022), près de 70 % du bois exploité dans cette région échappe à tout contrôle officiel. Les pertes forestières y sont dramatiques : environ 45 000 hectares disparus entre 2010 et 2020, selon les estimations croisées de la FAO et du ministère sénégalais de l’Environnement.
Une filière illégale… mais très lucrative
Derrière chaque grume exportée, une filière souterraine alimente une économie parallèle aux revenus faramineux.
Sur les routes poussiéreuses du sud du Sénégal, des camions généralement non identifiés chargés de grumes massives traversent les forêts de Casamance à la tombée de la nuit. Ces convois ne transportent pas n’importe quel bois : il s’agit du Pterocarpus erinaceus, ou bois de vène, une essence noble, recherchée et surtout monnayable à prix d’or sur les marchés internationaux.
Le rapport Blood Timber de l’ONG Global Witness (2021) est formel : la contrebande de bois sénégalais génère plusieurs millions de dollars par an, en grande partie grâce à des circuits de blanchiment du bois via la Gambie. Le bois est exploité illégalement au Sénégal, transporté discrètement à travers la frontière, puis exporté depuis le port de Banjul avec des certificats d’origine falsifiés ou détournés. Le document révèle que plus de 1,6 million de grumes de bois de vène ont quitté la Gambie entre 2012 et 2020, une grande partie provenant de la Casamance.
Selon les données croisées de la FAO et des douanes chinoises, le prix moyen d’une seule grume de bois de vène oscille entre 600 et 1 000 dollars à l’exportation. Dans un pays où le revenu mensuel moyen est inférieur à 150 dollars, les marges attirent des réseaux puissants, souvent protégés par des complicités locales. Pour les groupes armés dans les forêts reculées, notamment certaines factions du MFDC, ce commerce devient une source de financement de choix.

Le bois de Casamance : un matériau d’élite au cœur du luxe mondial
Mais pourquoi un tel engouement pour le bois de Casamance ? La réponse tient en trois mots : densité, beauté et durabilité.
Le Pterocarpus erinaceus, parfois surnommé « bois de rose africain » en raison de ses teintes rouges profonds, offre une résistance exceptionnelle à l’humidité, aux parasites et au temps. Sa densité – près de 850 kg/m³ à l’état sec – en fait un bois dur, parfait pour la fabrication de meubles haut de gamme, de parquets précieux, ou de sculptures artisanales d’exception. Il est aussi prisé pour ses veinures naturelles et son odeur agréable, ce qui le rend compétitif face aux essences asiatiques comme le teck ou le palissandre.
Les meubles réalisés à partir de bois de Casamance, notamment dans les ateliers d’ébénisterie de Guangzhou ou Shanghai, se vendent à des prix astronomiques. Un simple buffet en bois de vène peut dépasser les 10 000 euros dans certaines galeries de mobilier de luxe en Europe ou en Chine. Pour répondre à la demande, les exploitants illégaux procèdent à des coupes intensives, sans aucun souci de régénération forestière.
Dans son étude universitaire, Dr. Cheikh Mbow souligne que le bois sénégalais, surtout celui de Casamance, figure aujourd’hui parmi les plus convoités d’Afrique de l’Ouest. Et paradoxalement, cette richesse est exploitée sans aucun retour pour l’économie locale, les communautés rurales ou les politiques de reboisement.
Une aubaine pour les artisans locaux
Longtemps éclipsé par les importations, le meuble « Made in Sénégal » s’impose aujourd’hui comme une réponse concrète aux enjeux de souveraineté et de valorisation artisanale. Porté par des bois, issus des forêts sénégalaises, le meuble local séduit désormais un public de plus en plus attaché au « consommer local ».
« Les sénégalais ont découvert maintenant la qualité du consommer local. Nos chambres à coucher peuvent durer toute une vie parce que la confection est de qualité et le bois que nous utilisons est aussi meilleur. », renseigne Makhtar Mbaye, vendeur de meuble à Dakar.